Cher Jörg Langhans,

Vous trouverez ici les feuillets avec le texte que je vous ai promis. Des notes et des esquisses. Je vous dois une explication quant au parti pris d’une telle « préface ». J’ai écrit puis déchiré plusieurs textes. Régulièrement, lorsque je me propose d’écrire à propos d’une œuvre qui me fascine et me déconcerte, je me propose d’avoir recours à une manière d’écriture dont je laisse le flux m’emporter. Ce mode d’écriture n’a rien de commun pourtant avec l’écriture automatique qui conjure ces censures qui entraveraient une apparition – une épiphanie presque – de la poésie. Non, il s’agit de tenter d’exprimer dans le désordre, sans le moindre soucis de démontrer quoi que ce soit, ce que cette peinture à laquelle j’ai affaire m’impose ou me suggère. Les quelques feuillets écrits ainsi mêlent aussi bien des notations d’ordre historique – l’œuvre semble prendre place dans tel mouvement, tenir compte de tel manifeste, etc. – que les remarques iconologiques ou symboliques si tel ou tel élément les impose. Il m’arrive encore de noter des émotions éprouvées. Pour tenter de mettre en évidence ce que cette peinture-là, cette peinture que je ne connaissais pas, provoque de singulier, d’incomparable. 

Ma démarche devant votre peinture n’a pas été différente. J’ai écrit plusieurs textes de la sorte. En relisant les uns et les autres, en regardant encore et encore votre peinture, j’ai renoncé à écrire la « préface » que j’aurais pu vous donner. J’ai craint de n’être pas au diapason de votre peinture. Pour en mettre en évidence la force, la puissance, il est inutile – il serait même imbécile – d’aligner des adjectifs élogieux qui feraient de la retape. Ces adjectifs qui alignent des compliments sont aussi encombrants que sont indécents ceux qui rapportent l’émotion éprouvée par l’auteur. Les « magnifique », « superbe » et autre « admirable » sont de la fausse monnaie critique.

J’ai regardé encore et encore vos toiles. Et, tout à coup, j’ai eu envie de tendre l’index ici, là. De livrer un indice peut-être. De donner une indication. De poser une question ; celui qui regardera apportera sa réponse, la seule qui convienne. 

D’où ces bribes. Ces phrases. Elles ne vous sont pas données ici dans un ordre quelconque. Parce qu’elle ne sont pas, ne veulent pas être une démonstration. Ce « système » m’a semblé au bout du compte être celui qui permettrait de rendre compte au mieux de la fascination inquiète que provoque votre peinture.

Merci, cher Jörg d’avoir provoqué cette fascination-là.

A bientôt à Paris.

Amicalement.

Pascal Bonafoux. Genêts, le 16 août 2003

NOTES ET ESQUISSES À PROPOS DE JÖRG LANGHANS

Les apparences n’y sont que la conséquence des énigmes de la peinture. La peinture, rêverie d’une utopie. Devoir majeur qui suggère une plénitude sans esprit de système. Peinture qui atteste de la pertinence des formes de ses mensonges.
Représenter ce qui n’est pas reconnaissable pour échapper aux illusions des occurrences. 

Un paysage ardent où le silence se serait retiré.
Peindre pour provoquer l’expérience de la présence. Mettre face à des formes dont le regard s’éprouverait solidaire.
Un centre de gravité ébranlé. Vaste dimensions de certaines toiles. Parce que seules elles permettent de mettre en place un espace halluciné. 

Un équilibre tenu en haleine.
Des toiles par séries. Comme si ce qui était à peindre était à reprendre encore et encore, à retrouver toujours. Comme si chaque toile était elle-même un mouvement vers la peinture. Vers ce qu’il faut bien que l’on voie enfin. 

Une beauté stridente et soudaine à l’écart des orthodoxies, une beauté qui accepte sa cohérence. Et qui l’impose.
De la réalité ajoutée à ce qui se voit.
Une humble évidence. Ce ne pouvait être que ce que c’est. Une peinture ascète, précise et probe. Qui se méfierait de commentaires qui désamorceraient les songes de qui regarde.

Les ombres, embarrassantes conséquences congédiées.
Renoncer à désigner sans la trahir la peinture de Langhans par l’une ou l’autre des appellations contrôlées qui définissent des mouvements qui tracent des frontières, des lignes de partage des eaux. Parce que sa peinture n’a que faire de telles lignes. (sans doute se méfie-t-elle de théories bardées de dogmes qui instaurent des règles avec des lubies, des rumeurs et des préjugés.) Comme ce qu’il peint n’a que faire de ressembler à autre chose que ce qui est peint. C’est un fait. Un ordre ou un désordre sans commentaires. C’est cela. Sans explications. Portraits de l’irréversibilité. 
Peindre ou prendre le risque intransigeant de l’innommable.

Cher Jörg Langhans (pdf)