De quoi la ressemblance est-elle le nom ? ( se reconnaître ou se connaître )

Au musée, quand je regarde un portrait je n’ai rien à faire de la ressemblance supposé entre le modèle et l’œuvre. De toute façon, en général je ne peux pas en juger.

Par contre quand je dessine moi-même avec un modèle je suis très attentif à chaque trait du visage et je peux désespérer de ne pas réussir à obtenir cette ressemblance.

Il en va de même quand je suis mon propre modèle. Depuis un an déjà, je travaille à une nouvelle série d’autoportrait. Chaque jour, je descends dans l’atelier pour dessiner ma « tronche », parfois orné de tournesols ou d’autres végétaux.

Je crois que j’ai fait bien plus qu’une cinquantaine d’études pourtant je n’en ai pas terminé. Ce qui me trouble chaque matin c’est de ne jamais me reconnaitre. J’observe le dessin de la veille et me demande en quoi ce type me ressemble. Je ne me reconnais que par fragment. Voici un œil avec la racine du nez qui me semble « juste », dans un autre dessin c’est la forme du crâne avec une oreille placé au bon endroit, ici c’est le menton avec le départ du cou etc. Comme si mon image dans sa totalité me fuyait.

Autre curiosité : je dessine les végétaux avec beaucoup de liberté et de plaisir, sans me soucier plus que cela de leur apparence exacte. Tantôt je capte leur mouvement, tantôt un détail précis et parfois j’invente le tout. Comme si je connaissais si intimement leur nature que je peux donner libre cours à ma main sans jamais « trahir ». Quand le crayon rencontre le contour du visage, ma main devient plus hésitante. Je n’arrive pas ou que très rarement à dessiner cette « putain de tête » comme je dessine ces végétaux !

Je remarque que les dessins qui me parlent le plus vivent de cette tension entre des traits rapides et des traits lents. Comme si cette polyphonie ( ce polytracé ) composait un ensemble plus complexe et plus intime.

J’élabore des stratégies bizarres pour piéger ce visage. Je ne veux pas savoir ce qu’il advient la minute d’après. Il faut que l’image fasse irruption ! L’œuvre doit se faire le plus naturellement possible (sans trop la guider) pour qu’elle me surprenne. Je cherche en premier lieu à être surpris moi même quand j’ouvre la porte de mon atelier. Je veux arracher à ces autoportraits quelque chose qui les (me) dépassent. S’il n’y a pas de débordement, il n’y a pas d’œuvre. Pour y arriver je dois me mettre à nu, accepter de recommencer humblement chaque jour. Pas de zéro, mais presque.

 

note d’atelier du 23 novembre 2020

Comme si l’image, ici, prenait ou reprendrait un statut d’icône. A la renaissance on envoyait un petit portrait aux futurs époux et les égyptiens peignait le visage du défunt sur le sarcophage. Quel pouvoir accordé à ces images ! J’ai à coté de mon chevalet deux portraits que j’ai peint de mes parents il y a bien longtemps déjà…

Quand je dessine un visage je m’obstine encore à respecter tous les traits du mieux que je peux. Par contre  quand je dessine un arbre je me sens absolument libre de ne pas dessiner toutes ses branches. Pourquoi le portrait peint a encore, pour moi en tout cas, un statut à part et n’est pas simple prétexte à peindre ?

Qu’est ce qui demeure intouchable dans chaque visage à l’ère du selfie et du partage d’images instantanées ?

 

Image : détail AUTOPORTRAIT 2020, aquarelle, crayon de couleur et pastel sur papier,105 x 75 cm ©jorglanghans