Des écorces, suite 2008 – 2023

 » J’ai posé trois petits bout d’écorce sur une feuille de papier. J’ai regardé. J’ai regardé en pensant que regarder m’aiderait peut-être à lire quelque chose qui n’a jamais été écrit. J’ai regardé les trois petits lambeaux d’écorce comme trois lettres d’une écriture d’avant tout alphabet.  » Ainsi commence le livre ÉCORCES de Georges Didi-Huberman.

J’ai découvert ce livre des années après avoir commencé mon travail sur les écorces de bouleau. En 2008 je faisais mes premiers dessins dans une forêt tout proche de l’atelier sans me douter que ces fragments d’arbre allait m’occuper pendant si longtemps. Quand j’ai ouvert ce livre j’avais l’impression qu’une main m’avait tendu un miroir, un miroir qui reflétait non pas une image mais ce qui était derrière : la présence caché mais tangible de ce que Jung appelait le « inconscient collectif ». J’avais donné à « mes » écorces un statut de métaphore pour parler tantôt de la fragilité de nos vies, tantôt de la violence infligée à l’homme par ses semblables. Mais il fallait que je lise ce livre pour découvrir qu’une histoire plus obscure résonnait ici à mon issu. L’arbre, le bouleau, s’appelle dans ma langue maternelle « die Birke ». Comment j’ai pu ne pas penser à Birkenau, prairie de bouleaux, l’endroit même où le camp d’extermination Auschwitz-Birkenau fut construit, l’endroit où l’humanité avait basculé dans l’inhumain d’une façon inoubliable !

Cet hiver je suis retombé sur ce livre et je l’ai relu. J’ai ensuite posé une écorce sur ma table d’atelier et je l’ai regardé longtemps. Puis je l’ai dessiné patiemment. Quand le dessin était terminé je déplaçais l’écorce, lui donnant une autre forme pour la dessiner à nouveau. Après chaque dessin, chaque nouvelle torsion de cette écorce lui donnait une forme différente. J’ai fait ainsi une trentaine de « portraits » de cet écorce que j’avais arraché en 2008 à un tronc tombé au sol.

L’autre jour l’écorce s’est cassé.

J’ai accroché ces dessins au mur pour voir si il y avait là quelque chose comme « une écriture d’avant tout alphabet ».

Image : mur d’atelier 2023 avec les œuvres de la série VESTIGES, technique mixte sur papier, 29,5 x 42 cm