Le fil rouge – der rote Faden

Cet instant-là…

Parfois le printemps nous surprend parce que nous n’avons pas su en voir les signes avant-coureur. Parfois la douceur même du printemps nous apparait presque suspecte. Nous étions habitué à la morosité d’un hiver qui se trainait, alors on se méfie.

C’est dans un état d’esprit similaire que je me suis retrouvé assis au milieu de mon atelier, entouré de toiles bleus avec des lignes rouges. Cette nouvelle série de peintures, intitulé « cet instant-là », est arrivée comme par effraction. Avant, c’est à dire les mois précédents, je travaillais sur une thématique complètement différente : La Guerre, avec comme point d’encrage « les désastres de la guerre » de Goya. J’avais exécuté environ 250 dessins, et avec chaque nouvelle feuille j’avais buté sur la même question, question simple pourtant, question idiote, question obsédante : Pourquoi l’homme tue l’homme ? Nous sommes la seul espèce qui tue son semblable sans arrière fond « nutritionnel »…

Ce travail m’avait laissé comme abasourdie. Après un passage à vide, j’avais un besoin impérieux de peindre quelque chose d’immatériel: Le bleu du ciel, plus précisément sa transparence, l’insaisissable, le presque rien…peut être pour échapper à ce monde où « l’homme est si lourd » ? Cette nouvelle série est peut être mon antidote contre l’horreur…ma façon de sortir de ces visions de cruauté, de me défaire de l’odeur de ces «  désastres de la guerre ».

Sur ces fonds bleus transparents vient l’allégresse d’un geste simple :tracer une ligne qui devient un fil rouge ! Oui, parcourir cet espace bleu grâce à un fil ténu. Un sentiment de liberté, de joie au moment du geste.

Un vertige aussi ! Par où commencer, par où passer, avec quelle épaisseur ? Quelle trajectoire  lui donner ? Des questions que j’ai dû mettre de coté pour ne pas casser la magie de cet instant-là. Parce que cet instant-là, je le savais, n’allait pas se représenter de si tôt. Jamais auparavant je ne me suis autorisé à faire des tableaux si « simples », formellement parlant : matière, sujet, couleur, exécution etc.

Je suis un artiste qui doit insister, répéter, effacer, recommencer, creuser…lentement…patiemment, pour s’approcher de ce qui me semble « vrai », essentiel, un artiste qui se doit de suer sur ses tableaux, sinon… c’est « louche », « trop facile ». C’est bien sûr de la connerie, je le sais, mais on ne se refait pas comme ça ! Alors ce « fil rouge sur fond bleu » m’apparait maintenant comme un tour de force, une victoire aussi              ( surtout ) sur moi-même.

L’insaisissable, est-ce déjà la quête du bonheur ? Pas LE bonheur ! Je n’y crois pas, non , mais le moment du sentiment de bonheur. L’intensité de ce sentiment est comme la foudre. Elle éclaire, elle éblouit mais ne dure pas. C’est là toute sa force !

J’ai l’impression que de plus en plus clairement un sujet, un seul, prend toute la place dans mon travail. Je n’arrive pas encore à lui donner un nom, mais je sais que cela a voir avec deux titres de livre : Le sentiment tragique de la vie de Unamuno et de L’insoutenable légèreté de l’être de Kundera. Cela fait longtemps déjà que ces deux titres me collent au cerveau, comme une rengaine, tandis que le contenu de ces livres s’est éloigné dans ma mémoire…les ai-je aimé ?

La vie, nos vies ! Pour commencer la nôtre bien sur, celle de notre femme/homme, de nos enfants, de nos parents, de nos amis, de nos connaissances, et aussi celles des gens plus ou moins proches qui un jour, un peu par hasard, font irruption dans notre cœur, toutes ces vies si denses, si riches, si imprévisibles, si fragiles…La chance, le hasard d’être né quelque part…quel vertige quand nous saisie la lucidité de notre fragilité ! C’est peut être cet instant d’immense bonheur d’être là, ici et maintenant. Cet instant-là, menacé constamment par les aléas de la vie, le cours de l’histoire ( grande où petite ), la bêtise, la haine ou simplement par l’érosion du temps …

L’instant de rencontre et d’extrême tension entre le sentiment de plénitude et la conscience douloureuse de sa fugacité.

Dans cette série j’essaye de saisir, si possible, cet instant-là !

 

Image : de la série Cet instant -là, 2016, huile sur toile, 150 x 150 cm