Cette plongée dans l’œuvre d’un autre« Les désastres de la guerre » ( suite )

 

Quelle déroutante aventure cette plongée dans l’œuvre d’un autre artiste. Quel sentiment ambigu de se perdre et de s’oublier dans la nuit d’un autre. Depuis combien de temps je dessine maintenant d’après les reproductions des gravures « Les désastres de la guerre » de Goya ? Je ne sais plus exactement, le temps semble s’effilocher (comme une feuille de papier qui se désagrège dans l’eau). Au fur et à mesure que ce processus avance, j’ai non seulement l’impression de bien mieux connaître ces gravures, mais j’ai aussi la désagréable impression d’être devenu un « familier » des horreurs des guerres napoléoniennes…

Le sol de mon atelier est maintenant presque entièrement recouvert par mes dessins, je me suis mis aujourd’hui à les compter. Pourquoi cette envie subite ? Est ce qu’un nombre exact rassure ? ( comme on doit compter les victimes ) J’ai trouvé jusqu’à 200 feuilles et soudainement un doute : ai-je sauté cette avant-dernière rangé ?…c’est absurde…j’arrête de compter.

Au début de ce cycle, j’ai dessiné d’après ces gravures d’une façon assez précise, la plus attentive possible, sans autre souci que d’essayer d’en extraire ce qui me touchait le plus. La plupart du temps j’ai voulu respecter la dynamique de la composition, les proportions, la lumière etc.

Mais plus je rentre dans ces « images », plus je découvre des détails, ces parties isolés qui contiennent à elles seules l’œuvre toute entière. Ici apparaît un fragment, là un corps qui dit à lui seul ce que l’ensemble des personnages montre.

Plus la série avance, plus je m’éloigne plastiquement des originaux. Je l’accepte comme un mouvement naturel. Il me semble essentiel de respecter ce va et vient lent entre son travail et le mien. Comme si la fréquentation assidue et quotidienne de ces planches ne me rendait que peu à peu ma propre liberté d’action.

Depuis quelque temps, je ne regarde plus les originaux, ils se sont comme gravés dans ma tête, et se superposent avec d’autres « images », d’autres désastres venus d’ailleurs…

 

image ©Jörg Langhans, l’atelier avril 2016