L’autre soir, c’était ton anniversaire

( Il y a un peu plus de deux mois maintenant que j’avais gribouillé ces lignes et puis…hésité….à les rendre publique ici sur ce blog ne sachant pas trop si elles y trouveraient leur place…et puis, j’espère que si. )

Un ciel transparent avec quelques nuages. Le joli mois de mai. Les champs de colza et leur jaune tapageur dominent et découpent les paysages. Une variété de verts impressionnantes. Du vert tendre, délicatement bleuté, passant par des verts acidulés jusqu’au vert déjà profond et « épais ». La lumière dans les arbres joue avec ces tons, les rend encore plus vibrants. Une petite route de campagne, tranquille, un paysage typiquement « Ile de France », une belle église blanche, simple, souveraine, flanquée de hauts peupliers.

Ça fait une heure et demi que j’ai enfourché mon beau vélo en carbone, que je pédale comme un fou, entre le plaisir de sentir mes jambes tourner comme une horloge et la douleur des mêmes muscles qui se fait sentir de plus en plus fort. A l’évidence je roule trop vite ! Mais où que je regarde c’est beau. Un sentiment de liberté, de bonheur même.

Je me rappelle qu’aujourd’hui est une journée particulière. C’est l’anniversaire de mon père. Il est née le trois mai 1936.

Soixante dix-huit ans plus tard, un 21 décembre 2014, il s’est écroulé très tôt le matin sur le carrelage froid de la salle de bain. Il ne voulait pas déranger sa femme ( ma mère) qui dormait encore, épuisée d’avoir veillé sur lui une bonne partie de la nuit. Alors il s’est levé et il est mort là, dans la pièce à côté, dans cette salle de bain où il avait l’habitude de se raser chaque matin. Ce 21 décembre il s’est levé pour y mourir. Sans faire de bruit. Surtout ne pas déranger…partir sans faire d’histoires.

Je roule de plus en plus vite, je ne connais pas ce coin, je ne sais pas ce qui m’attend après ce village, peut être une côte raide ? Je m’en fou, je fonce, je fonce sans m’économiser, après on verra bien.

J’aimerais peindre ces paysages, l’euphorie que je ressens maintenant en roulant, j’aimerais les peindre comme je les traverse : rapidement, joyeusement, sans calcul, juste dans la joie d’être là, avec la conscience aiguë que c’est une chance, un privilège de… vivre, VIVRE !

Une grange au toit de tôle ondulé posée dans un champs vert-bleu. C’est une belle touche violette, « grasse », généreuse et sensuelle. C’est un peu comme le modèle « king size » du peintre dans Bagdad Café ! Il faut que je fasse au moins une photo pour me rappeler ce rapport de tons plus tard. Mais l’envie de rouler encore, de rouler fort, est plus impérieuse que ce réflexe de métier.

L’instant présent, rien de plus, rien de moins, ne pas le gâcher…l’ivresse…ne pas couper mon effort maintenant !

Je voudrais faire une série de peintures très libre, juste le plaisir de peindre des paysages inspirés de mes virées en vélo, des paysages complètement réinventés à l’atelier.

C’est difficile de peindre la joie. Rare sont les peintres qui ont réussi sans tomber dans la niaiserie.

Personnellement il m’est plus facile de peindre la douleur que la joie. Curieuse prédisposition. Je ne suis pas le seul et c’est une maigre consolation ! Comme s’il fallait sentir une faille pour être artiste. Mais aujourd’hui, vissé sur ma selle, je sens que je serai bientôt capable de donner à voir la joie. Elle sera d’autant plus belle pour moi qu’elle portera dans son dos, comme tatoué entre les omoplates, l’empreinte ineffaçable du carrelage froid du 21 décembre 2014.

Je sais que Bernanos a écrit « la joie » à quelques kilomètres d’ici…